Une photo, au deuxième étage du Musée de l’Elysée de Lausanne, a retenu dimanche 11 novembre mon attention : un tirage original de Jabob Riis, datant de 1888, et intitulé « Repaire de bandits, Mulberry Street ». J’ai remarqué tout d’abord le linge sur des cordes zigzaguant d’une façade à l’autre de la rue et s’amenuisant pour créer la 3e dimension. J’ai observé ensuite deux hommes, au premier plan, visages cachés par l’ombre des chapeaux melon. Puis d’autres hommes, beaucoup d’autres, ont émergé de la brume, aux 2e et 3e plans, aux fenêtres, sur les poches. Tous les regards tournés vers moi. Sentiment de conspiration, de danger. Ce coupe-gorge défendu par des hommes aux aguets et délimité par la lessive des femmes met mal à l’aise. Une atmosphère où la tension est sous-jacente, où l’on se demande ce qui va se produire l’instant d’après, si les hommes vont agresser le photographe, aussi voyeur que moi, pour les avoir surpris devant leurs taudis.
Un instant saisi, figé, et qui révèle au monde « How the other half lives », comment vit l’autre moitié. Un instant rendu éternel par la magie d’une caméra. Une photo prise trente ans avant la naissance d’Elise dont nous avons fêté en juin le 94e anniversaire.
Au sous-sol de ce même musée m’attendait une autre oeuvre qui ne laisse pas indifférent : Freaks, du réalisateur Ted Browning. Ce film-culte porte sans crainte ses 4 x 20 printemps et dérange plus que jamais car les monstres qu’il exhibe ne sont pas le produit d' »effets spéciaux », mais des personnes bien réelles ayant toutes présenté leurs étonnants talents sur des scènes de cirque. Cette oeuvre splendidement inclassable, ce miroir grossissant de la société, révèle ce qu’on préfère ignorer : la monstruosité. Celle des corps et celle des âmes.
Quelle est la valeur d’une vie ? Quelle vie a de la valeur ? Ted Browning pose crûment ces questions dans ce film classé « d’horreur » tellement son sujet nous effraie. Personne ne veut savoir que les monstres existent et que les plus monstrueux ne sont pas ceux que l’on pense. Une oeuvre qui n’a pas pris une ride bien qu’elle soit née en 1932 déjà, la même année que Francine.
Les oeuvres d’art résistent au temps et savent poser aux générations qui se succèdent les questions vraies et toujours renouvelées : celles qui s’éveillent avec nous chaque matin, celles auxquelles chaque journée, chaque personne, chaque époque, chaque contexte, chaque vie apporte sa réponse, complexe et unique. Copies jamais rendues si la mort n’y met un point final.
Francine et Elise ont toutes deux quitté le tumulte de l’existence. Elles sont de l’autre côté des questions et ne prennent plus part aux nôtres. Plus de grands-mères pour gâter mes enfants, plus de mères ni de belle-mère pour m’écouter. Que des souvenirs, des souvenirs, et des souvenirs.
Et l’écriture pour trouver un sens à ce qui ne semble que chaos. L’écriture, et l’art qui défie le temps.
Quand l’absurde se fait particulièrement menaçant, la présence d’un proche, la parole d’une amie, l’émotion pour une couleur, la puissance d’un parfum, les rires pour un rien, redonnent foi en l’art de vivre.
Bonjour Christine !
Des sens. Je lis actuellement « L’Alchimie de la pensée » de Diane Ackerman. Rien que la traduction du titre, An Alchemy of Mind, fait chercher du sens. La pensée fait rêver, tandis que les propositions des dictionnaires ne le font pas, probablement :
• esprit
• avis
• intelligence
Un clin d’oeil de Varsovie
Marta