La vie de bohème

Ropa interior« Eh bien ! Les gitans semblent être à la mode ! »

Cette phrase m’a échappé quand je suis tombée, le 17 février, sur un article du quotidien El País. C’est l’illustration qui avait attiré mon attention : on y voyait un groupe de gitans encerclant une danseuse de flamenco d’âge mûr. J’ai immédiatement repéré dans l’assemblée le visage d’Israel MaletaGalván, le danseur sévillan qui m’avait éblouie lors de son passage à l’Opéra de Madrid.

Or j’étais en route pour voir à la Fondation Mapfre l’exposition “ Luces de Bohemia / Artistas, gitanos y la definición del mundo moderno” La coïncidence m’a surprise, les gens du voyage m’ont tout à coup paru très à la mode.

BotellasMODE n.f. : Manière passagère d’agir, de vivre, de penser, etc., liée à un milieu, à une époque déterminée. Larousse

Marcel Duchamp semble à la mode dans l’école d’arts visuels que je fréquente : chaque professeur nous parle de son urinoir, “ l’oeuvre qui pose la vraie question de ce qu’est l’art”. Quand j’avais dix-huit ans, on m’assurait qu’Andy Warhol avait Muñecatout bouleversé. Puis Beuys à eu son heure de gloire. Juste avant Bacon. Et en ce moment, c’est Marina Abramovic qui fait fureur. Pauvres imbéciles qui ne comprennent pas pourquoi se taillader le ventre en public est un geste hautement artistique. Elle-même se dit surprise de cette évidence : «Jamais personne ne me demande si ce que je fais est de l’art.» C’est ainsi : les initiés sentent les courants forts El gato negrosans avoir à poser de questions. Ils sont instinctivement à la page. Moi par exemple, je sais pourquoi Marina est une artiste…

Le bœuf mode est devenu ringard, les kebabs ont passé au rang de classiques, les sushis sont à la mode. Israel Galván a fait salle comble tous les soirs au Théâtre de la Ville de Paris. Affaire de mode ? On pourrait le croire en lisant certaines critiques au vitriol qui ont paru dans les journaux.

SUSHI n.m. (mot jap.). Boulette de riz surmontée d’une lamelle de poisson cru ou d’un coquillage cru. Larousse

Comme il était en France, le grand danseur né d’une mère gitane en a profité pour aller voir les Roms de Ris-Orangis, au sud de Paris. Il paraît qu’ils sont environ cent quatre-vingt à s’entasser dans une trentaine de baraques bricolées. Il paraît aussi qu’on a dû  tirer l’oreille au maire pour qu’il admette leurs enfants dans les classes régulières de la commune. Le journaliste du País qui me raconte tout ça égratigne au passage le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, originaire de Barcelone : il le prétend bien plus zélé à expulser ces « irréguliers » que son prédécesseur, sous Sarkozy.

ROMS n.m.p. Terme qui a été adopté par l’Union romani internationale pour désigner un ensemble de populations ayant en commun une origine indienne.[…]Les Roms sont également désignés par d’autres mots : Gitans, Tsiganes (ou Tziganes), Manouches, Romanichels, Bohémiens, Sintis. Nomades, semi-nomades ou sédentaires, ils partagent une identité marquée par les persécutions (depuis l’exigence d’assimilation jusqu’au génocide perpétré par les nazis) Wikipédia + Larousse

Dans les élégants salons d’exposition de la Mapfre, les gens du voyage apparaissent sous une autre lumière. Ils seraient même à la racine de l’art moderne ! De la Gitanilla de Cervantès, en passant par la Esmeralda de Hugo ou la Carmen de Mérimée, l’ombrageuse gitane a fait rêver les artistes. Elle est le symbole d’un monde libre, dégagé des codes bourgeois, sensuel. Produit dérivé du Romantisme, la « vie de bohème » devient, au long du 19e siècle, le ferment indispensable pour se défaire de toutes formes d’académisme, et libérer la créativités qui se terre sous des couches de conformisme. Le jeune Rimbaud le déclare en vers magnifiques : seules des poches crevées peuvent accueillir les poings d’un artiste. La marginalisation est la panacée, elle est la clé d’une vraie liberté. Elle signifie dormir dans un taudis et bouffer de la vache enragée, mais qu’importe ? Qu’importe mourir trop jeune de syphilis après avoir écrit Ma Bohème ? La question est vulgaire.

BOHÈME (de Bohême, n.pr.) n.f. Vieilli. Le milieu des artistes, des écrivains, etc., qui menaient une vie au jour le jour, en marge du conformisme social et de la respectabilité ; ce genre de vie. Larousse

Goya, Courbet, Manet : on décèle chez tous un penchant gitan. Lautrec, Renoir, Modigliani, Picasso : tous des marginaux. Les impressionnistes, les cubistes, Dada, les surréalistes, les futuristes, les expressionnistes, les briseurs de conventions, les innovateurs, géniaux ou incompris : tous redevables de l’esprit libre des gens qui refusent les limites, traversent les frontières.

Âmes nomades que rien n’arrête, arpenteurs mythifiés ou détestés : les voici mis en lumière par les plus grands musées, ou renvoyés dans leurs terres lointaines par les politiciens en mal de boucs émissaires.

PoesiasEt les bobos, et les bobos, ils leur doivent quoi aux Bohémiens  et à leur vie de bohème ? Eux, le savent-ils ? Renaud le chante, d’autres l’écrivent dans leur blog.

Moi j’y pense souvent.

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2 Responses to La vie de bohème

  1. dany dit :

    Superbe texte que j’attendais avec impatience !
    Bises
    Dany

Les commentaires sont fermés.