Les voies de circulation de la capitale espagnole mettent à jour la situation économique très précaire du pays. Difficile de monter dans une rame de métro sans qu’un individu explique – en chantant, en jouant d’un instrument, ou en psalmodiant son histoire – qu’il n’arrive plus à joindre les bouts. A la sortie de chaque supermarché, je suis hélée par une personne qui s’est donné pour profession de me souhaiter le bonjour, et attend une petite rétribution pour cette bonne parole. De la vieille femme qui gît telle une baleine inerte à côté d’un gobelet en plastique, au monsieur qui sculpte inlassablement des scènes religieuses dans de vieilles portes, on voit de tout dans les rues de Madrid. Mais ce que je n’ai jamais vu, c’est du mépris envers ces démunis. Au contraire : j’observe souvent qu’on s’arrête pour leur faire un brin de causette, qu’on les salue par leur nom. Et beaucoup se fendent d’une piécette. Ces gens à la rue n’ont souvent rien du mendiant professionnel auquel on est habitué. Les passants semblent comprendre qu’à l’heure actuelle, le fossé entre les quémandeurs et eux-mêmes se traverse d’un petit pas. Qu’un hasard malheureux pourrait demain les faire trébucher et les envoyer de l’autre côté. Une solidarité réelle est palpable entre ceux qui ont encore un peu et ceux qui n’ont déjà plus rien.
Dans le métro que j’ai pris tout à l’heure pour me rendre à l’aéroport, nouvelle preuve de ce que j’affirme. Une vieille dame avançait de son pas de vieille dame, quelques feuilles en main qu’elle présentait aux voyageurs : « Ce sont des arriérés de factures non payées. Si je ne les règle pas jusqu’à la fin de la semaine, je suis à la rue. » Personne ne se souciait de savoir si son histoire était vraie. Les histoire de facture impossible à régler sont vraies. Elle a reçu des quantité de piécettes, accompagnées d’un sourire ou d’un « Que te venga bien »
Qui sait si dans mon avion ne se trouve pas quelque Espagnol en quête d’un travail dans mon pays riche ? Dans une heure trente, je serai à Genève. La dernière fois que je me suis promenée dans la ville calviniste – il y a un mois exactement – j’ai trouvé l’atmosphère peu agréable. Des groupes de jeunes coqs attentifs à leur sape encombraient bruyamment le trottoir et semblaient avoir fait du non-respect des autres un art de vivre. A Madrid aussi, les bandes de jeunes sont bruyantes et prennent de la place dans les rues. Mais les rires sont francs et naissent de blagues de potaches, alors qu’au bord du Léman ils étaient cassants et s’alimentaient de moqueries blessantes.
Serais-je moins indulgente envers la jeunesse de mon pays gâté ? Possible…
De Genève, je vais prendre le train et débarquer vers 22h00 dans la petite ville de Bienne : 50’000 habitants, au bord d’un lac, lieu de naissance des Swatch et des Rolex, vieille ville attrayante. Je vais trouver une place de la gare occupée par une jeunesse d’une vulgarité déplorable. Certains brairont des insultes à travers la place, d’autres tituberont, bouteille de bière au bout du bras. Et peut-être même qu’un d’eux pissera ou vomira dans un coin. Avec les cracheurs, ils sont devenus légion. Cette autre forme de misère, carte de visite depuis quelques années de la ville où j’ai grandi et où je vais retrouver de très bons amis, me consterne à chacun de mes retours.
Merci pour votre courriel « et les BONNES RESOLUTIONS !! »
Depuis le temps que je me fréquente, je me connais suffisamment pour savoir que les bonnes résolutions et autres régimes décidés à cette période de l’année font long feu. ll m’arrive de prendre de bonnes résolutions en cours d’année dictées par une réelle intention et non par la période. Je les tiens plus ou moins…
Quand au régime ! Il y a longtemps que je snobe le pèse-personne. La sensation d’un rétrécissement du tour de taille de mes vêtements est largement indicatif : il est temps (ou non) de jeûner. J’aime appliquer le régime prôné par Léonard de Vinci et découvert lors d’une visite au Clos Lucé près d’Amboise, lieu où il a passé les dernières années de sa vie : «veux-tu rester en bonne santé ? Suis ce régime : ne mange point sans en avoir l’envie. »
Je me suis promenée dans votre blog. Je me suis promenée dans Madrid. Une manière remarquable, plaisante, originale, de nous faire découvrir une ville. C’est que du bonheur de vous lire, merci.
A lire votre dernier texte on en vient presque à envier les Madrilènes. Toutes proportions gardées bien sûr. Leur situation n’a rien d’enviable. J’entends quelquefois autour de moi les gens dirent, en parlant d’une jeunesse pourrie, gâtée, égoïste, indisciplinée, irrespectueuse: «il leur faudrait une bonne guerre ».
Cela se vérifie en lisant « Misères et misères ». « Une bonne guerre » n’est pas à prendre à la lettre bien sûr, parfois une crise, comme en Espagne, suffirait pour éveiller dans la jeune génération plus de solidarité, de sobriété, de remise en question, de savoir-vivre, de respect.
Je ne vais pas la souhaiter, la crise, mais elle pointe aux dires de nos économistes et autres politiques. Serait-elle salutaire ?
En l’attendant il y a ceux qui pensent que c’est pour les autres, ceux qui brûlent leur épargne avant l’effondrement, qui s’éclatent avant le pire, et ceux, moins voyants, qui redoutent et prévoient ou le tente.
Je connais également une autre jeunesse qui étudie ou travaille pour se bâtir un avenir. A la différence de notre génération la leur a une autre approche. Pour la nôtre c’était souvent la carrière professionnelle afin de s’assurer une vie décente voire confortable ou plus. Aujourd’hui, pour beaucoup avant la carrière professionnelle c’est un plan de vie qu’il privilégie. Travailler oui, faire carrière oui, mais pas au détriment d’une vie privée épanouie, seule en couple ou en famille, et de loisirs bienfaisants. On les appelle la génération Y.
Je voulais juste vous dire un petit mot, je me suis laissée emportée, désolée !
Meilleurs salutations
Josette
Quel bonheur que vous vous soyez laissée emporter par votre plaisir d’écrire, Josette !
J’adore vous lire. Je me répète, mais tant pis.
Le régime de Léonard que vous suivez en dit long sur votre ouverture à la vie. Comme vous, je snobe les pèse-personnes. Et je ne parle de nourriture que pour dire combien c’était bon.
Sympa de me suivre dans mes pérégrinations madrilènes. Les gens qui prennent plaisir à la lecture sont-ils nombreux ? La photo est plus sexy, plus immédiate. J’ai à ce propos une anecdote. Quand je vivais à Varsovie, le rédacteur en chef du « Petit Journal » a entendu parler de moi. Je rédigeais alors une rubrique dans le mensuel « Les Echos de Pologne », intitulée « Arrêt sur image ». Nous nous sommes donc vus, il m’a fait des compliments sur mon écriture, et a ajouté : « Le seul
problème, c’est qu’on ne peut pas lire vos textes vite, vous ne pourriez pas y remédier ? » Comme j’ai la chance (on trouve toujours moyen de défense sa situation) de ne pas vivre de ma plume, j’ai pu renoncer à cette offre. Mais j’avoue qu’ensuite je me suis demandé ce que j’aurais fait…si « Le Petit Journal » payait ses rédacteurs. 🙂
Ma fille (24 ans, à Madrid pour 2 mois, entre deux stages en Suisse), n’a pas apprécié mon texte « Misères et misères ». Elle a passé sept ans à l’étranger et défend son pays bec et ongles. Bien que je l’aie assurée (après avoir lu votre message) que je la classais parmi la génération Y, elle est revenue pendant trois jours à la charge, dressant méticuleusement une liste de tout ce qu’elle avait observé de
nul dans les jeunesses des autres pays. Sa réaction me laisse perplexe. Un texte produit chez (dans !) chaque lecteur un écho différent.
A bientôt. Y un besito, comme on dit par ici.
Christine