Par les chemins improbables

40.34364725460885,-3.68516206741333_ClaraVous avez fait quoi, le premier week-end de décembre ? Moi, j’ai dérivé.

J’avais rendez-vous le samedi à 10h00 aux coordonnées 40.34364725460885,-3.68516206741333. Un lieu pas facile à trouver, très au sud de Madrid. Une rue qui a de nombreuses ramifications et encercle un quartier d’immeubles sans charme, habités par une communauté à dominance maghrébine. La banlieue, quoi.

Deriva_EdificiosJe suis arrivée une demi-heure en retard. Cinq personnes inconnues m’attendaient. Antonio a téléphoné pour dire qu’il tournait en rond, complètement perdu. Ça m’a soulagée. Ingrid, Javier, Clara, Alberto et Beatriz en étaient aux présentations. « Moi je travaillais pour la télévision », a dit Javier. Et il a ajouté : « Une horreur ».

Quand Antonio nous a finalement rejoints, nous sommes partis dans le froid et le Deriva_Subcanalsoleil, une feuille de papier pliée en accordéon sous le bras. Et jusqu’à six heures du soir, nous avons sillonné la zone, sans autres directives que de changer de guide à chaque étape, de dessiner à chaque halte ce que bon nous semblait, et d’échanger ensuite nos feuilles comme des cadavres exquis. Cette promenade d’un genre différent nous a emmenés aux milieu de hauts immeubles impersonnels, sur la place animée d’un quartier plus ancien, à la porte Deriva_Baldíod’un centre commercial, au bord d’une autoroute à fort trafic, sur un très vaste terrain vague, par un sous-voie envahi de tagueurs à l’oeuvre, le long d’une rivière polluée, à proximité de la morgue Tanatorium M40, aux abords d’une station d’épuration, sur une colline habitée par des perroquets sauvages, et dans une cantine ouvrière.

Des lieux dont ne parlent même pas les guides les plus alternatifs. Des lieux pourtant plus Deriva_Vía de ferrocarril_Antonioinspirants que la Puerta del Sol.

Clara, notre rassembleuse, a fait de la dérive un style de vie. Elle vient de publier un petit libre couvert de dessins assez naïfs,  réalisés au feutre noir : La Guía de las rutas inciertas.  A la troisième étape, elle s’est approchée de moi :  « ¿Que signífica por te la palabra deriva ? »

Deriva_San FerminDérive ? C’est un mot négatif. Les êtres à la dérive inspirent de la pitié. Ils sont perdus, n’ont pas d’objectif, se laissent emporter sans résistance par n’importe quel courant. Mais c’est aussi un formidable moyen de booster la créativité, de s’écarter des ornières et de découvrir l’insoupçonné.

La pratique de la dérive a depuis longtemps ses théoriciens. Pour preuve : cet extrait d’un article paru en 1956 dans la revue Lèvres nues  :  « Une ou plusieurs personnes se livrant à la dérive renoncent, pour une durée plus ou moins longue, aux raisons de se déplacer et d’agir qu’elles se connaissent généralement, aux relations, aux travaux et aux loisirs qui leur sont propres, pour se laisser aller aux sollicitations du terrain et des rencontres qui y correspondent« . Les résultats très variés de cette exploration non conventionnelle de la Terre (et de soi ?) alimentent aujourd’hui de nombreux blogs. Cherchez, vous aurez de belles surprises.

Le dimanche matin, nous nous sommes tous retrouvés dans une salle de classe. Jusqu’à six heures du soir, chacun a « fait quelque chose » de son carton en accordéon et des photos capturées en chemin. Un exercice prenant, qui nous confronte avec cette évidence que chaque existence est une dérive plus ou moins contrôlée, une aventure qui mène vers plus ou moins d’inconnu. J’aime bien ce que j’ai réalisé.

Le soir, nous avons dû présenter notre démarche devant la classe. J’ai pris courageusement mon tour. J’ai expliqué de mon mieux tout ce que cette expérience m’avait apporté, et pris la ferme résolution…de consacrer une demi-heure quotidienne à l’apprentissage de l’espagnol.

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1 Response to Par les chemins improbables

  1. Excellent. J’aime l’association du personnel et du collectif, de la pratique et de la réflexion.
    J’aimeras voir les dessins. Besito.

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